Terreur et reconnaissance

Cinnamon est une jeune fille très sensible mais n'importe qui entrant dans la terrible Maison du Cancer aurait ressentit son atmosphère lugubre. Devant traverser ce Temple, l'adolescente prit son courage à deux mains et continua son chemin avant de se rendre compte de la décoration particulière des lieux. Le premier instant de surprise et d'effroi passé, ce fut la curiosité qui refit surface et elle voulut savoir de quelle matière étaient faits tous ces visages grimaçants.

Ce fut ce moment que choisi DeathMask pour apparaître et, immédiatement, Cinnamon sentit la violence qui émanait de ce Chevalier. Cet homme était dangereux, très dangereux. L'intruse voulut quitter ce lieu au plus vite mais, évidemment, le Gold était beaucoup plus rapide qu'elle. Ce fut avec un sourire cruel et des paroles cyniques qu'il l'entraîna l'adolescente dans sa propre chambre où il n'eut aucun scrupule à la déflorer. Pas pour lui faire payer un droit de passage momentané mais uniquement pour s'amuser.

Ce fut alors que ce produisit dans l'esprit de Cinnamon une étrange dissociation. Si ce viol fit souffrir une partie de son esprit, pour preuve son cœur battant à tout rompre comme si elle se trouvait confrontée à un danger mortel. L'autre partie, elle, demeura étrangement calme. Une petite voix lui soufflait de ne pas résister, déjà cela ne servirait à rien, et surtout son bourreau pourrait se montrer violent et lui faire encore plus mal. Obéissant à cet instinct de conservation, bien qu'elle fut aussi paralysée par la peur, la jeune fille s'autopersuada que la situation n'était pas aussi catastrophique qu'elle en avait l'air.

Après tout, constata-t-elle une fois que ce fut terminé, elle était toujours en vie. Donc ce qui s'était passé n'était pas si grave. Des millions d'hommes et de femmes faisaient la même chose, une chose somme toute parfaitement naturelle. Elle ne l'avait pas voulu ? Simple détail, dans la vie on n'a pas toujours ce que l'on veut, n'est-ce pas ? Elle saignait ? Oui mais cela aussi était normal pour une première fois et le Chevalier ne l'avait pas frappée, après tout. Il aurait pu la tuer ensuite, ce qu'il n'avait pas fait. Au contraire, il la laissait reprendre sa route et continuer son pari. Preuve que ce qui s'était passé était, certes extrêmement pénible, mais naturel. Il ne fallait pas non plus oublier que ce Saint d'Or était chez lui dans son Temple. Ne lui avait-il pas dit : "Ici, j'ai tous les droits, ne l'oublie pas !" ?

Aussi Cinnamon choisit de reléguer cet épisode dans un recoin de son esprit. Elle ne l'oublia jamais, cependant, quand elle y repensait, c'était pour se focaliser, rougissante, sur le côté sexuel de la chose et oublier volontairement le côté agression. Dans sa tête, elle avait couché avec un Chevalier d'Or et c'était tout. Pourquoi alors la moindre apparition de cet homme la faisait trembler comme une feuille ? Pourquoi cette terreur proche de la panique lorsqu'elle se trouvait à proximité de lui ? Refusant l'évidence, elle fit tout son possible pour se raccrocher à la jolie fable que son esprit avait créée pour lui permettre de survivre. Cet homme lui faisait un effet monstre parce qu'il avait été le premier. Et aux oubliettes le fait qu'elle n'avait pas eu le choix, le fait qu'il l'avait violentée.

Ce fut pour continuer ce joli conte qu'elle n'hésita pas, par la suite, à traverser seule la fameuse Maison. Oui elle avait beau trembler de peur et avoir envie de s'échapper à toutes jambes quand elle y croisait le Cancer, jamais elle ne rechigna. Pour se persuader qu'elle avait raison de prendre ce qui s'était passé à la légère, qu'elle avait raison de penser que ce n'était rien, rien de grave. Tout son être avait beau lui hurler de faire demi-tour, de ne plus jamais se retrouver en face de cet homme, son esprit butté, lui, persistait. Et c'est ainsi, qu'étrangement divisée entre la terreur légitime que DeathMask lui inspirait et la nécessité de faire comme si tout était normal, qu'elle acquis sans le vouloir et sans le savoir la réputation d'une fille au cœur bien accroché...

Plus tard, quand elle apprit que DeathMask serait son maître et qu'il avait la charge de l'entraîner dans le plus grand des secrets, elle fut tout d'abord horrifiée. Le souvenir de l'agression avait immanquablement refait surface mais surtout elle avait appris à craindre cet homme. Cet homme qui la houspillait sans cesse et ne manquait jamais une occasion de lui flanquer une taloche. Elle en était venue à considérer que sa peur de lui venait uniquement de là, de son attitude infect avec elle. C'était pratique pour oublier la véritable raison.

Cependant, si elle fut d'abord horrifiée, elle dut se rendre à l'évidence. Les séances eurent toutes lieu à Yomotsu, ce lieu étrange. Et pendant ce temps-là, DeathMask l'entraînait. Jamais il ne la houspilla méchamment, jamais il ne la frappa, même si, bien sûr, il conservait son esprit critique et ses paroles cyniques. Jamais surtout il n'eut le moindre geste équivoque. Il se mit même en tête de lui enseigner quelques gestes d'auto-défense et de lui donner quelques conseils. Les exercices qu'il lui ordonnait de faire, au début de chaque séance, s'ils avaient été pénibles au début, à présent la jeune fille les attendait avec impatience. Car dans ces moment-là, elle pouvait se défouler librement, donner libre court à la colère qui la rongeait depuis tant d'année de souffre-douleur. L'ayant parfaitement compris, le Gold ne la réprimait pas, au contraire, il l'encourageait. Là où le maître d'Ikki s'était servi de la haine, DeathMask utilisa la colère présente en l'adolescente. Une colère latente, endormie, mais qui ne demandait qu'à se réveiller. Ensuite venait le plus gros de travail, l'utilisation de ses propres pouvoirs. C'était difficile et pénible, à chaque fois un cercle de douleur enserrait la tête de Cinnamon et elle saignait souvent du nez. Elle était virtuellement capable de grandes choses mais son propre organisme ne le supportait pas... Elle faisait de son mieux, pourtant, pour contenter son maître. C'était tellement mieux lorsqu'il était content. Mais celui-ci, conscient des risques dut souvent l'arrêter de force. Elle pouvait y arriver, ce n'était qu'une question de temps pour qu'elle devienne l'arme dont avait voulu le Grand Pope. Elle progressait déjà si vite ; son entraînement avait commencé à la mi-septembre et son pouvoir se déclencha de façon extraordinaire le 1er novembre, mais manqua de laisser des séquelles irréversibles. Elle continua de progresser, doucement, car le Cancer avait décidé de ralentir le rythme. Son but n'était pas de la tuer. Elle avait beau avoir fait des progrès stupéfiants en peu de temps, la machine de guerre réclamée par l'Autre ne serait jamais prête à temps.

Prête pour recevoir ces maudits gamins de Bronze et leur chère princesse.

Dans l'esprit de Cinnamon, c'était le chaos total. L'homme qui la terrifiait, qui se montrait ignoble avec elle, qui l'avait v... Enfin bref, cet homme était aussi celui qui lui permettait de se défouler, qui lui avait appris qu'elle possédait un potentiel, qu'elle n'était pas une fille quelconque dont on pouvait se moquer mais une personne ayant des capacités dépassant celles du commun des mortels... Elle avait toujours une peur bleue de lui et pourtant, pourtant dans son cœur naissait un étrange sentiment. C'était tout simplement de la reconnaissance.

Voilà pourquoi, malgré ses dons, Cinnamon se laissa faire lorsque le Cancer la reprit de force. Hébétée, ne comprenant rien à ce qui se passait, partagée entre l'obéissance et la reconnaissance qu'elle lui devait, elle ne résista pas. Plus tard, quand il recommença, elle n'opposa pas plus de résistance, tant il avait réussi à l'assujettir. Cet homme recommençait à lui faire mal et elle ne comprenait pas pourquoi. Cependant il l'emmenait toujours à Yomotsu. Là, il n'y avait que l'entraînement qui comptait. C'est pourquoi l'adolescente attendait ces moments avec impatience. Yomotsu était devenu pour elle un havre de paix et paradoxalement un véritable défouloir.

Partagée entre la terreur qui renaissait suite aux agissements de DeathMask et la reconnaissance sans borne qu'elle lui vouait, Cinnamon aurait été incapable de se révolter. Il était son maître, il lui avait appris tant de choses, lui avait permis d'être elle-même, de se défouler... Comment aurait-elle pu utiliser ses pouvoirs contre lui ? Comment aurait-elle pu ne serait qu'y penser ? Cet homme, qui se montrait à nouveau odieux était aussi celui à qui elle devait tout. Voilà pourquoi elle ne pouvait le haïr, et voilà pourquoi sa mort la laissera aussi désemparée, au point qu'elle n'hésitera pas à frapper Phénix pour avoir dit du mal de lui.

Mais ne dit-on pas qu'il n'y a que la vérité qui blesse ?